EVALON

LA MARQUE DES DIEUX

Evalon, Terres des Faes et des Creati

Par une nuit noire et sanglante, une femme fuit, au péril de sa vie. Elle est une survivante. La dernière de son espèce. Sa seule chance d’échapper à ses ravisseurs ? Traverser l’Arragast, la frontière mortelle érigée par les Dieux qui sépare les mondes. Son but ultime ? Le retrouver LUI. Le véritable Roi d’Evalon.

Cindra, Royaume des Humains

Le Chasseur a débuté la traque. Mais cette nuit, ce n’est pas un monstre qu’il va trouver, mais son Destin. Incarné sous les traits d’une Walkyrie, guerrière sacrée créée par le Dieu de la Guerre lui-même. Et elle est venue à lui pour le révéler au monde. Lui, porteur de la Marque des Dieux.

Un pacte est scellé. Deux destins sont irrémédiablement liés.

Ainsi commence l’épopée d’Evalon, la Marque des Dieux…

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Lyrie, Tome 1, Le Chasseur.

Fin du Tome 1, le Roi Geoffrey lui offre l’armure de son ancêtre, la Walkyrie Brunhehilde.

Oliver et Lyrie, Tome 3, Le Roi

Avant la bataille finale contre le Roi Herald.

Oliver, Tome 2, Le Dompteur de Dragons

Oliver s’entraine à maitriser son pouvoir aux côtés de Merlin.

Lyrie, Tome 2, Le Dompteur de Dragons

Lyrie vient délivrer Oliver, retenu prisonnier dans la Tour Banh.

Irail, le premier Dragon d’Oliver.

Oliver, Tome 1, Le Chasseur

Oliver, en pleine chasse.

image représentant la carte d'evalon

*Illustration réalisée par Célia VERFAILLIE

Chapitre 1
Lyrie

Je n’ai jamais couru aussi vite de toute ma vie. Mes pieds sont en sang, mon visage et mes jambes nues griffés et entaillés par la végétation hostile. Mais j’ignore la douleur. Mon corps ne la sent plus depuis bien longtemps. Ces derniers mois d’emprisonnement et de torture ont bien failli me briser.

À la pensée de mes sœurs qui se sont sacrifiées pour me permettre de m’enfuir, mes yeux rougissent, brûlant d’une détresse et d’une rage sans nom. Mais le deuil viendra plus tard, je ne peux me permettre aucune distraction. Mes geôliers sont à mes trousses. Au moindre faux pas, je suis morte.

J’entends les aboiements des chiens non loin derrière moi. Si j’avais été humaine ou fae*[1], ils m’auraient déjà rattrapée. Mais je ne suis ni l’une ni l’autre.

Je trébuche sur une racine qui me déstabilise, mais me rattrape de justesse pour rebondir et poursuivre ma course. Mon entraînement m’a préparée à cet instant toute ma vie. Sans lui, je n’aurais eu aucune chance.

L’air qui pénètre dans mes poumons me brûle. Mon souffle commence à manquer et mes muscles atrophiés sont mis à rude épreuve. Je saute pour éviter un tronc brisé. Et l’atterrissage m’arrache un gémissement. Je ne m’arrête pas. Je redouble de vitesse en entendant les cris des einheri* à ma poursuite. Les guerriers sacrés du dieu Noktys. Nos anciens partenaires, qui nous ont trahies et se sont retournés contre notre ancien roi pour couronner celui que l’on nomme l’Usurpateur.

Je n’étais pas encore née à l’époque, mais Oalah, notre reine, m’a quelquefois conté cette tragédie. Une nuit sanglante qui a plongé le royaume dans le chaos. Oalah, ma reine… Ses dernières paroles résonnent encore à mes oreilles : « Fuis ! Cours plus vite que le vent, Lyrie. Et trouve notre eriah* ! Lui seul pourra ramener la lumière sur Evalon. Cours, Lyrie ! Cours ! »

C’étaient là ses derniers mots. Avant qu’on lui tranche la gorge. Je bloque mon esprit. Pas de pensées parasites. Si je me souviens, je m’écroule.

Une once d’espoir m’envahit soudain lorsque je vois enfin l’Arragast *, le voile qui sépare Evalon de Cindra, les terres sans magie. Une barrière enchantée et hostile, à l’intérieur de laquelle personne n’ose s’aventurer. Des créatures de cauchemar en sont les antiques gardiennes, tuant tous ceux qui tentent de la traverser. Seuls les guerriers les plus valeureux ont une chance de passer au travers et d’en ressortir en un seul morceau. Une poignée de survivants ont pu témoigner des horreurs qui s’y trouvent. Mais ils restent très rares.

Et pourtant, traverser l’Arragast est ma seule chance de survie. Je sais que mes poursuivants abandonneront. Aucun d’entre eux n’osera franchir ce barrage. Encore faut-il que je l’atteigne. Et que je survive. Mais chaque chose en son temps.

Je sors enfin de la forêt de Nyrh pour me retrouver dans une immense clairière. Le ciel est noir, parsemé d’étoiles. Aucun nuage ne vient obscurcir le ciel. La lune inonde la prairie de sa lueur. L’Arragast se dresse droit devant moi. Je ne m’en étais jamais approchée d’aussi près.

Je dois avouer qu’il est magnifique. Une membrane multicolore traversée d’éclairs rougeoyants s’étire du sol jusqu’au ciel, dans son infini. Un silence des plus étrange règne, comme si le temps avait été suspendu. Je ressens jusque dans mes os la puissance de la magie ancestrale qui a servi à créer cette barrière millénaire, à l’époque conçue par les dieux pour protéger les hommes des créatures surnaturelles, les creati*. Je m’arrête quelques secondes pour contempler l’immensité de l’Arragast qui s’étend à perte de vue, marquant la frontière entre les royaumes. Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi beau, d’aussi paisible. À le regarder ainsi, on ne soupçonnerait pas l’horreur qui se tient derrière.

Je m’octroie dix secondes supplémentaires pour reprendre mon souffle et reprends ma course lorsque j’entends mes ennemis se rapprocher. Quelques centaines de mètres me séparent de mon objectif. Je peux le faire. Mes jambes protestent, mais je ne les écoute plus.

Ils sont derrière moi, plus près. Je pousse un cri de rage pour me donner de la force et allonge mes foulées pour gagner en vitesse. Et en l’espace de quelques secondes, je me retrouve devant l’Arragast. Instinctivement, je m’arrête à moins d’un mètre de la barrière, manquant trébucher. Je peine à respirer.

— Lyrie !

Je me fige en entendant mon prénom. Me retourne. Une vingtaine de soldats royaux et trois einheri se tiennent devant moi, essoufflés eux aussi. Parmi eux, Elrys. Le guerrier dont j’ai été secrètement amoureuse ces dix dernières années. Sentiments que je pensais partagés. Mais de toute évidence, j’avais tort.

J’observe avec tristesse les contours de son visage que je trouvais beaux, autrefois. Et qui me font horreur à présent, parce qu’ils me rappellent cruellement ma naïveté.

— Lyrie ! répète-t‑il tout en essayant de reprendre sa respiration. Ne fais pas ça !

— Tu ne m’as pas laissé le choix ! je lui réponds, amère.

— Si tu franchis l’Arragast, tu mourras !

— Je vais tenter ma chance.

— Lyrie… ce n’est pas la solution.

Il veut gagner du temps. Pour me faire renoncer. Mais je préfère mourir plutôt que les laisser m’emprisonner à nouveau. Alors, je me retourne et avance d’un pas vers la barrière.

Je lâche un cri, une douleur éclatant dans mon épaule. Une flèche.

— Attendez ! s’écrie Elrys. Ne tirez pas !

Je n’attends pas de savoir si ses soldats lui obéissent. Je prends une profonde inspiration. Et je saute dans l’Arragast.

J’ai l’impression de plonger dans une eau glacée, le choc de température me fait trembler. Je sais que je devrais continuer. Courir. Encore. Mais mon corps le refuse. Je tombe à genoux et m’autorise enfin à verser une larme. Une larme de rage. Et de soulagement.

J’ai réussi ! Je suis dans l’Arragast ! Et si les dieux le veulent, je serai bientôt à Cindra. Pour retrouver mon eriah. Le véritable héritier du trône, disparu à sa naissance lors du coup d’État sanglant opéré par l’Usurpateur, il y a de cela trente-trois années.

Je ralentis ma respiration et essaie de faire cesser les tremblements. De la vapeur s’échappe de mes lèvres. Mes cheveux, d’ordinaire d’un blond doré, sont ternes, sales et emmêlés. Ils traînent par terre, étalés tout autour de moi. Une brume blanche et opaque stagne à cinquante centimètres du sol, dissimulant mes jambes et mon bassin.

Du sang coule de mon épaule, me rappelant que je suis blessée. Je relève la tête et soupire en comprenant que la flèche m’a transpercée. Je vois la tête métallique. Je ne peux donc pas l’enlever, sous peine de provoquer une hémorragie. Je n’en mourrais pas, car je suis immortelle : seule la décapitation peut m’envoyer dans le royaume des morts. Mais cela m’affaiblirait trop. Je m’en occuperai plus tard.

Je lève lentement les yeux pour observer enfin le décor qui m’entoure. Un sol terreux. Pas de ciel. Rien que les parois aux couleurs chatoyantes de l’Arragast qui diffusent une lumière tamisée et apaisante. Une odeur agréable de fleur flotte dans l’air. En revanche, je n’entends pas le moindre son. Pas même celui de ma respiration.

L’autre côté se situe à une centaine de mètres. Il me semble facile à atteindre. Mais je sais qu’il n’en est rien.

J’attends encore quelques minutes, puis mobilise mes forces pour me remettre debout. Je titube, faible sur mes jambes. J’ai la tête qui tourne, envie de vomir – ce que je fais lorsque la nausée devient trop forte.

Puis je me ressaisis. Mon cœur bat anormalement vite. Je fais un premier pas vers l’autre côté. Puis un autre, mes sens aux aguets. Je n’ai pas pu emporter mes dagues avec moi. Mais ma volonté de vivre est si forte qu’elle remplace n’importe quelle arme. Il est inenvisageable que je meure avant d’avoir vengé mes sœurs.

Je marche encore, prudemment. Lentement. M’arrêtant presque à chaque pas, m’attendant à voir surgir une créature à tout moment.

Je suis arrivée à mi-chemin. Je fais encore un pas, lorsque je sens tout à coup quelque chose me frôler les pieds. Instinctivement, je bondis sur le côté. À cause de la brume, je ne vois rien. Mais je suis certaine d’avoir senti un effleurement.

Je me fige en regardant devant moi la brume s’épaissir et gonfler. Comme si quelque chose tentait d’en sortir. Je recule, même. Parce que quoi que ce puisse être, c’est vraiment très gros. Mes yeux s’écarquillent lorsque je commence à distinguer un corps reptilien massif. La brume s’élève avant de disparaître, révélant d’énormes serpents. Non… des têtes de dragon ! Plusieurs têtes, oui. Rattachées au corps colossal du reptile.

— Par Noktys, une hydre !

Mon assurance s’efface tandis que cinq têtes, chacune plus grosse que moi, me fixent de leurs grands yeux rouges.

L’hydre… Dragon ancestral à cinq têtes, éteint depuis des siècles. À Evalon, en tout cas. Parce que dans l’Arragast, il y en a toujours… À chaque tête tranchée, deux nouvelles repoussent. Et si ma mémoire est bonne, on ne peut les tuer qu’en transperçant leur cœur avec une lame en titanium*, le métal le plus solide qui soit. Des armes rares, héritées des anciens chasseurs de dragons, disparus à ce jour.

Je lance un coup d’œil désespéré derrière lui, réalisant qu’à peine quelques foulées me séparent de l’autre côté de l’Arragast. Je ne peux pas mourir si près du but ! Si je ne peux pas affronter la bête, alors je vais devoir compter sur ma vitesse hors du commun pour la dépasser et lui échapper. Mais mon corps est déjà épuisé, et blessé. Est-ce que je peux seulement y arriver ?

L’hydre pousse un rugissement et relève ses énormes têtes pour mieux me toiser. L’une d’elles s’abaisse, le cou tendu vers moi pour me renifler. Je n’ose toujours pas bouger, me concentrant pour évaluer mes possibilités de la contourner.

Je décide de tenter ma chance au moment où elle charge, se ruant vers moi. Je cours vers elle et, au dernier moment, plonge sous son corps tandis qu’elle essaie de m’attraper avec une de ses mâchoires. Je roule sur le flanc entre ses pattes, prenant garde à ne pas me faire écraser, et reprends ma fuite vers la barrière. Je l’entends hurler derrière moi.

Seulement quelques mètres me séparent de la paroi de l’Arragast. Je tends même les mains vers elle, gonflée d’espoir. Et alors que je me crois sortie d’affaire, je suis percutée de plein fouet par la queue du dragon, qui me propulse sur le côté.

— Aaah !

Je crie, mon corps absorbant la douleur. Je m’écroule sur le dos, ma tête cogne durement le sol. Je suis sonnée. Ma vision est brouillée et un énorme acouphène m’empêche d’entendre quoi que ce soit. Mon ventre me brûle là où la queue de la bête m’a frappée.

L’instinct prend malgré tout le dessus lorsqu’une gueule armée de crocs acérés et tranchants s’ouvre soudain au-dessus de mon visage, prête à m’engloutir. Mes mains saisissent les mâchoires de la bête juste avant qu’elles ne se referment sur moi, dans le but de les garder ouvertes. Mais malgré ma force surhumaine, je ne fais pas le poids face à la puissance du dragon. Mes bras frémissent sous l’effort, tandis que les crocs s’approchent dangereusement de ma poitrine.

Je hurle au moment où une autre gueule vient planter une dent coupante dans mon bras, le transperçant de part en part. Je maintiens tant bien que mal l’autre gueule ouverte, m’efforçant d’ignorer la douleur. Mais je commence à trembler. Du venin ! Je dois me dégager de là.

Dans un ultime effort, je pousse un nouveau cri et repousse la tête de l’hydre, avant de rouler sur le côté. Mue par la volonté de vivre, je bondis sur mes pieds et me remets à courir vers l’autre bord de l’Arragast.

À mesure que je me rapproche, le temps semble ralentir. J’entends mon cœur tambouriner trop fort dans ma poitrine. Mes yeux restent fixés sur la membrane colorée.

Et c’est là que je la vois. Une silhouette lumineuse, de l’autre côté. Elle brille de mille feux, tel un dieu. Elle m’attend, elle est là pour moi. Tout comme je suis là pour elle. Je ne saurais l’expliquer, mais j’en suis convaincue.

Je tends une main vers elle, mais le dragon frappe à nouveau, une de ses gueules plantant ses crocs dans ma jambe.

— Non ! je crie, désespérée, tandis que je m’effondre.

Ma main est à seulement quelques centimètres de la barrière. Je peux presque la toucher. Mon corps se met à convulser. Encore du venin. J’ai trop chaud, je ne contrôle plus rien. La douleur dans ma jambe et dans mon bras devient insupportable, me mettant au supplice.

— Lyrie ! m’appelle une voix masculine que je ne connais pas. Lyrie, lève-toi ! Prends ma force ! Et cours !

Mon corps s’apaise à ces mots. Je sens une énergie étrangère s’infiltrer en moi, galvanisant mes muscles blessés, réchauffant mon corps glacé. Quoi que ce soit, cela me donne le courage et la volonté de me relever.

Une nouvelle morsure dans mon flanc m’arrache un nouveau hurlement, me reconnectant à la réalité. Jetant un ultime cri, je mobilise le peu de forces qu’il me reste pour bondir et franchir les quelques centimètres qui me séparent de la membrane de l’Arragast.

La silhouette est encore là, irradiant de lumière. Ses mains tendues vers moi m’attendent. Je m’autorise à verser une larme au moment où je me sens traverser le voile. J’ai réussi ! Je l’ai fait ! J’ai à nouveau très froid, mais qu’importe ! J’ai traversé l’Arragast ! Moi, Lyrie, j’y suis arrivée !

 

Je suis à Cindra, le royaume sans magie du roi Geoffrey. Une terre qui m’est totalement inconnue. Il fait nuit, ici aussi. J’inspire alors que je suis toujours en train de courir et que je peine à m’arrêter, emportée par l’élan. Et en une fraction de seconde, je me retrouve dans les bras de la silhouette lumineuse. Mon corps, à bout, cède. La douleur que j’avais ignorée jusqu’à présent me submerge.

Mon bras, ma jambe et mon flanc sont en sang, la chair arrachée par les mâchoires de l’hydre. Les autres blessures plus profondes dues à mon emprisonnement me donnent envie de hurler. Le poison me fait tourner la tête, j’ai beaucoup trop chaud. Je prends conscience que je perds trop de sang.

Mes yeux tentent de discerner le visage de la personne qui me tient contre elle, mais sa luminosité m’empêche de la voir correctement. Hormis ses yeux, d’un bleu lagon magnifique. Mais je sais très bien de qui il s’agit. Parce que mon corps réagit à son appel, au lien qui unit nos deux lignées depuis des générations. Il est mon roi. Il est mon eriah. Il est celui que je suis venu chercher, celui qui sauvera les créatures magiques d’Evalon. L’héritier d’Ellentour, dernier descendant de la lignée des Pendragon.

Il raffermit sa prise lorsque mes jambes ploient. Je lève une main tremblante vers son visage qui, je le sens, me contemple. Ma paume se pose sur sa joue. Elle est chaude. Il recouvre ma main de la sienne, réchauffant mon corps glacé.

— Je vous ai trouvé, je murmure. Mia eriah.

Il se met à trembler, je ressens son émoi. Les forces me quittent pour de bon, ma main retombe le long de mon flanc. Et je bascule dans l’inconscient.

 

 

 

 

 

Chapitre 2
Oliver

La cacophonie agresse mes oreilles, la musique est trop forte. Les rires des soûlards et des femmes de joie attisent ma migraine. Les relents de tabac et de sueur imprègnent l’auberge dans laquelle il fait trop chaud, malgré la température glaciale dehors et les fenêtres ouvertes. Le bain chaud que j’ai pris un peu plus tôt après avoir passé quelques heures dans les bras de la fille de l’aubergiste n’a pas réussi à faire partir mon mal de tête. Cela m’arrive de plus en plus souvent, ces derniers temps. Tout comme les cauchemars et les terreurs nocturnes.

Daevon et Brenan sont en grande discussion sur la meilleure façon d’attirer la harpie* dans nos filets. Nous avons chevauché pendant une semaine depuis Priah pour espérer capturer le monstre et obtenir la récompense. Nous ne roulons pas sur l’or en ce moment, et les quatre cents écus promis pour sa mort seraient les bienvenus.

Nous sommes arrivés sur les terres du baron d’Ernel trois jours plus tôt. Nous avons interrogé le baron lui-même, ainsi que les villageois, au sujet de la harpie. Elle semble loger dans un vieux moulin abandonné tout près de l’Arragast et sort à chaque pleine lune pour dévorer ses victimes. Toutes des jeunes hommes dans la fleur de l’âge. Une vingtaine de cadavres ont déjà été retrouvés. Le baron a bien tenté d’envoyer ses soldats lui régler son compte, mais ils sont bien trop apeurés. Les creati effraient le commun des mortels, mais pas nous. Parce que nous sommes différents. Nous sommes des chasseurs de la Couronne*.

Les harpies peuvent prendre l’apparence de jeunes femmes séduisantes pour charmer leurs proies. Elles se déplacent très vite et s’avèrent plus fortes qu’un homme. Elles craignent l’argent, c’est pourquoi nous avons emporté nos épées confectionnées dans ce métal par notre forgeron attitré. Un avantage accordé par le roi. Parce que nous sommes les meilleurs, Brenan, Daevon et moi.

Brenan et Daevon sont jumeaux, nous avons le même âge. Enfin, tout est question de point de vue, parce que techniquement, ils ont quatre-vingts ans, mais ils gardent l’apparence de jeunes hommes trentenaires. Un privilège des creati. Les créatures surnaturelles.

Tous les trois, nous sommes originaires d’Evalon. Je n’ai jamais connu ma terre natale puisque j’en suis parti, contraint et forcé, le jour de ma naissance. Sujet que nous n’abordons que très rarement. Nous avons grandi sous le même toit, et même si je ne partage pas leur sang, je les considère comme mes frères. Et c’est réciproque.

— Olie ? m’appelle Daevon. T’es avec nous ?

Je secoue la tête, espérant chasser ma migraine.

— Désolé. Oui, je suis là.

— On dirait pas… C’est la rouquine qui t’a tourné la tête ? me taquine Brenan.

— Très drôle, je le réprimande.

— Tu crains que l’aubergiste apprenne que tu t’es tapé sa fille chérie dans la grange ? se moque Daevon.

— Allez vous faire foutre ! je bougonne.

Je regarde mes deux meilleurs amis rire à gorge déployée. Ils se ressemblent énormément, bien que Daevon soit blond et Brenan brun. La seule chose qui permette de les différencier vraiment. Ils ont bien sûr des particularités que j’ai observées en grandissant avec eux. Par exemple, un grain de beauté au coin de l’œil droit de Brenan ; ou une minuscule tache de naissance derrière l’oreille de Daevon. Leurs yeux d’un vert éclatant et leur physique grand et musclé leur valent un franc succès auprès des femmes.

— Encore des migraines ? s’inquiète Brenan en arrachant un morceau de viande de sa cuisse de poulet rôtie.

— Hum…

— Tu as encore crié cette nuit, relève Daevon.

Je ne réponds rien. Je n’ai franchement pas envie d’en parler maintenant.

— C’est la pleine lune, ce soir, je leur fais remarquer pour détourner la conversation.

— Sans blague ! s’exclame Brenan. T’as vraiment rien écouté de ce qu’on était en train de raconter !

— Le moulin abandonné est à une heure d’ici, reprend Daevon. Notre profil colle avec celui des victimes. La harpie va se montrer.

— Pas si elle sent qu’on vient pour la tuer, je leur rappelle.

Je bois une gorgée d’eau et délaisse mon poulet. Avec ce mal de crâne, je n’ai plus faim. J’ai surtout besoin de silence. Et de repos. Mais ce sera pour plus tard.

— Je vous sers autre chose, messieurs ? nous demande soudain Elizabeth, la fille de l’aubergiste.

Je suis tellement sonné que je ne l’avais pas vue approcher. Elle n’est pas vraiment jolie, mais ses seins…

— Non, merci, je réponds en lui adressant un sourire. Peut-être plus tard ?

Elle me fait un clin d’œil avant de s’éloigner vers une autre table. Heureusement, mes amis s’abstiennent de commentaires, même si je vois à leur tête que cela les démange. Je soupire avant de fermer les yeux quelques instants. La douleur dans ma tête augmente, déclenchant un sifflement qui me fait grimacer. Et soudain, c’est le silence. Je réalise que plus aucun son ne me parvient. J’ouvre lentement les yeux.

— C’est quoi… ce bordel ? je m’exclame.

Tout le monde est figé. Comme si le temps s’était arrêté. Daevon a la bouche grande ouverte, s’apprêtant à enfourner son poulet, tandis que Brenan a un bras suspendu en l’air, sur le point de boire une gorgée de bière. Tout à coup paniqué, je me lève brusquement, renversant ma chaise.

— Daevon ? Brenan ?

Ils ne bougent pas. Mon cœur accélère, j’ai la nausée. Que se passe-t‑il ? Suis-je encore en train de rêver ?

— Bonsoir, Oliver.

Je sursaute et opère un demi-tour. Trois femmes se tiennent devant moi. Et j’ai beau ne pas savoir grand-chose du monde des dieux, je sais qu’elles sont tout sauf humaines. Elles sont d’une beauté incroyable. Éclatante. Irréelle. Elles ont toutes les trois une chevelure d’un blanc tendant vers l’ivoire qui me rappelle ma couleur naturelle, lorsque mes cheveux ne sont pas teints en noir. Elles sont vêtues de robes évasées, rouges comme le sang, avec un diadème en or serti d’un… œil ? sur leur tête. Un œil qui bouge et observe mes moindres faits et gestes. Leur peau est blanche comme le lait.

L’une est grande et mince, avec de longs cheveux raides. L’autre est petite et plus en chair, ses cheveux coupés en un carré court. La troisième est de taille moyenne et beaucoup plus maigre, ses longs cheveux bouclés cascadant jusqu’au sol. Je remarque que leurs yeux sont entièrement blancs.

Je suis terrifié. Et j’ai raison de l’être. La partie de moi qui n’est pas humaine décèle leur puissance et leur immortalité. Qui qu’elles soient, ce sont des creati. Et pas n’importe lesquelles. Je sens la Marque des dieux sur elles.

— Nous t’observons depuis longtemps, reprend la voix.

C’est la plus petite qui s’adresse à moi.

— Suis-je… en train de rêver ? je dis pour moi-même.

— Cela ne dépend que de toi, répond-elle.

— Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ?

— Ton nom est connu des dieux, Oliver d’Ellentour, fils du roi Harmand, descendant d’Arthur Pendragon, le dompteur de dragons*.

Ma tête se met à tourner. Comment ces femmes peuvent-elles connaître mon nom ? Mon véritable nom ?

— Nous sommes venues te livrer un avertissement, poursuit la plus grande.

— Un… avertissement ? je répète, soudain gelé, sentant leur souffle glacé jusque dans mes entrailles.

— Evalon attend ton retour, Oliver. La terre des creati se meurt et sera bientôt sous le joug d’Ombra. Tu dois reprendre ce qui t’appartient. Autrement, ce sera l’extinction.

— Ce qui m’appartient ?

Je me sens faible sur mes jambes. J’ai du mal à respirer.

— Les dieux t’enverront un messager, intervient la troisième, ignorant ma question. Tu auras alors un choix à faire. Un choix important. Duquel découlera la vie de millions de créatures vivantes.

— Je ne comprends rien… je murmure, à deux doigts de perdre connaissance. Quel choix ?

— Tu sauras. Le moment venu, conclut la première.

— La roue du destin est en marche, Oliver d’Ellentour. Et rien ni personne ne pourra l’arrêter. Nous sommes curieuses de découvrir quel chemin tu emprunteras, ricane la plus petite.

— Mais bon sang, qui êtes-vous ?

— Nous sommes la Triade*, répondent-elles en chœur. Le passé, le présent, le futur. Notre avertissement a été délivré. Il est temps pour nous de partir.

— Attendez !

Elles ont disparu. Et le cours du temps reprend. Je suis percuté par un homme qui marchait dans ma direction et qui renverse sa bière sur sa tunique.

— Hé, regarde où tu vas ! peste-t‑il avant de poursuivre son trajet.

Je ne supporte plus la musique. Les odeurs. Les sons. Et le froid. J’entends Daevon m’appeler au loin. Je titube jusqu’à la porte donnant sur la petite cour extérieure de l’auberge et vomis à peine sorti. Je me traîne jusqu’à la rambarde en bois et y prends appui pour ne pas m’effondrer. Des visions de sang m’envahissent. Des cris d’agonie. La chaleur d’une mère qui disparaît. Le froid. La terreur.

— Non, je marmonne en tenant ma tête entre mes mains. Pas maintenant… Ce n’est pas réel… Ce n’est pas réel.

Le sang gicle de toute part. Recouvre les murs et le sol. Ma peau se met à briller… Les hurlements me terrifient.

— Dix… Neuf… Huit… Sept… Six…

J’entame le décompte qui parvient à calmer mon esprit lorsque celui-ci part à la dérive et replonge dans l’horreur des premières heures de mon existence.

— Zéro.

J’ouvre les yeux. Le sang a disparu, les hurlements se sont tus. Je soupire. Mes yeux se posent sur l’Arragast, bien visible. Rares sont les villages construits si près de la frontière, à cause des monstres. Le domaine du baron d’Ernel en fait partie. La famille d’Ernel représente une puissante alliée du roi Geoffrey. Et un poste de surveillance de l’Arragast.

On raconte que cette barrière magique est infranchissable, tant ses gardiens se révèlent féroces et puissants. Je sais que c’est faux, j’en suis la preuve vivante. Mais en effet, sa traversée reste mortelle pour la quasi-totalité du monde. Seuls quelques chanceux, ou protégés des dieux, peuvent espérer y survivre.

En regardant ses couleurs chatoyantes qui illuminent la nuit, je ne peux m’empêcher de songer à ce qu’aurait pu être ma vie si on ne m’avait pas arraché à ma famille. Si on ne m’avait pas tout pris.

— Olie ?

La voix de Daevon me fait tressaillir.

— Ça va ? me demande-t‑il.

— J’en sais rien, j’avoue.

— Il s’est passé quoi là-dedans ? me questionne-t‑il en montrant du doigt l’auberge. T’étais assis à côté de nous et tout à coup, tu as disparu ! Tu t’es retrouvé à l’autre bout de la pièce !

— Alors, ce n’était pas un rêve…

— Un quoi ?

Il me scrute avec de grands yeux ronds.

— Laisse tomber, je lui dis.

— Attends… tu t’es carrément téléporté, ou quelque chose dans le genre, et tu me demandes de laisser tomber ?

— On en parlera plus tard. Allons plutôt nous préparer et seller les chevaux. On a une harpie à attraper.

— OK, mais… tu es sûr que ça va ?

— Oui, je lui mens. Laisse-moi juste encore quelques minutes et je vous rejoins aux écuries.

— Comme tu voudras.

Il n’insiste pas. Il sait que je n’aime pas m’épancher. J’ai toujours traité mes amis comme mes égaux. Mais au fil des ans, j’ai remarqué qu’ils finissaient toujours par céder. Par se conformer à ce que je leur demandais. À cause de ce que je suis, de par mon sang et mon droit de naissance. J’ai eu beau leur ordonner de passer outre, ils m’ont chaque fois répondu qu’ils ne le pouvaient pas. Parce que leur sang à eux répond à ma nature. Parce que je suis leur…

Non, je refuse de le dire à voix haute. Ce n’est pas ce que j’ai choisi d’être. Je suis Oliver Garner, chasseur de la Couronne. Alors, aux enfers, ces trois sorcières ! Oliver d’Ellentour est mort à la naissance. Avec le reste de sa famille.

Nous sommes partis rapidement en direction du vieux moulin, le temps de nous vêtir chaudement, de prendre nos armes et de seller nos chevaux. Il nous a fallu une cinquantaine de minutes pour atteindre notre destination, la chevauchée s’est faite dans le silence. Il en est toujours ainsi, avant une chasse. Pas de distractions.

Le moulin est construit au bord d’un ruisseau qui fait encore tourner sa roue dans un affreux grincement. Le toit est éventré, il n’y a plus de verre aux fenêtres, ni de porte. Un pan de mur s’est effondré, mais le reste de la bâtisse paraît encore solide. Un petit pont de pierre permet de traverser le cours d’eau pour atteindre une courette, dans laquelle on distingue une grange.

Nous laissons nos chevaux en retrait avant de poursuivre à pied, toujours en silence. Un silence oppressant et bien étrange. Je ne me suis jamais approché si près de l’Arragast. Il est à seulement une centaine de mètres de nous. Je ne saurais l’expliquer, mais c’est comme si nous étions dans un espace hors du temps. On n’entend aucun animal. Aucun crissement d’insecte. J’ai même l’impression de ne plus respirer. La magie contenue dans cette barrière me pénètre, éveillant la chose qui sommeille en moi : le pouvoir.

Contrairement à Daevon et Brenan, je ne suis pas une creati. Je ne suis pas non plus humain. Je suis ce que l’on appelle un fae. Du moins à moitié, car ma mère était humaine. Si j’avais été fae à cent pour cent, j’aurais hérité de certaines caractéristiques physiques que je n’ai pas, comme les oreilles pointues, une peau très claire ou les yeux orangés. Je pourrais aussi vivre plusieurs siècles et ne tomberais jamais malade.

Mais je suis un métis. Mon corps est semblable à celui d’un humain. Mes oreilles sont normales ; mes yeux d’un bleu lagon, particulièrement envoûtant et qui fait son effet auprès des femmes. Mon teint est mat. J’ai un nez droit et de jolies pommettes, une bouche aux contours bien dessinés. Je suis grand pour un humain, et mes années d’entraînement intensif ont bien sculpté mon corps. Daevon et Brenan sont bien plus imposants que moi, ils sont des creati de sang pur.

La véritable couleur de mes cheveux pourrait trahir mon ascendance. J’ai hérité de la chevelure couleur ivoire de mon père. Une teinte inexistante chez les humains, et même rarissime chez les fae. Un trait commun avec mon illustre ancêtre dont on parle encore dans tous les livres d’histoire : Arthur Pendragon, le roi fae qui a su dompter les dragons. Mon tatouage, également : je suis né avec. Il recouvre mes pectoraux et mes épaules, avance sur la partie inférieure de ma nuque et s’achève sur mes omoplates. Des symboles et des mots dans la langue des dieux, d’après Fergus, le père de Daevon et de Brenan. Personne n’a jamais su les traduire ou en comprendre la signification. Pas même moi qui, pourtant, lis la langue des dieux. Certains érudits le pourraient, mais je ne veux pas risquer de dévoiler ma nature.

Pour ces raisons, je teins mes cheveux en noir depuis toujours et j’évite de me mettre torse nu. Même quand je fais l’amour à une femme, je veille à toujours garder un vêtement ou à le faire dans le noir. Ma vie et celle de mes amis en dépendent. Les personnes qui ont assassiné mes parents à Evalon ont peut-être des espions ici, à Cindra. Ils me croient certainement mort depuis des années. Et il vaut mieux que cela reste ainsi.

Je détourne le regard de l’Arragast et me concentre sur le moulin et la harpie qui doit rôder dans les parages. Nous n’avons pas encore dégainé nos armes, pour ne pas l’effrayer. Comme toujours, Daevon se tient devant moi et Brenan derrière, couvrant mes arrières. Leurs blessures cicatrisent d’elles-mêmes, pas les miennes.

Tandis que nous approchons, j’entends les murmures dans ma tête, qui déclenchent un martèlement contre mes tempes. Cela se produit chaque fois que nous sommes à proximité d’un monstre. Je ne les comprends pas, mais ils me guident et me dévoilent comment détruire la créature. Une sorte d’instinct. Je n’ai jamais su de quoi il retourne exactement, mais c’est une arme précieuse, qui me permet de neutraliser chacun de mes ennemis.

Nous traversons le pont pour pénétrer dans la cour. La lune éclaire les alentours, nous dispensant d’allumer nos torches. Et tandis que nous approchons de l’entrée du moulin, elle apparaît.

Une jeune femme nue aux longs cheveux cendrés. Elle nous tourne le dos, et sanglote. N’importe qui tomberait dans le panneau et se précipiterait dans ses bras pour la secourir. Erreur fatale. Une morsure et c’en est fini. Un puissant venin paralysant est contenu dans ses crocs.

— Quelque chose ne va pas, belle dame ? l’amadoue Daevon.

Elle frissonne en entendant sa voix et fait volte-face. Elle ne prend pas la peine de conserver sa forme humaine et se métamorphose. Des griffes acérées poussent à ses doigts de mains et de pieds, sa peau prend une teinte grisâtre, ses yeux gonflent, rouges et globuleux. Ses crocs pointus dépassent de ses lèvres. Ses cheveux tombent, laissant place à un crâne dégarni et pustuleux. Deux ailes semblables à celles des chauves-souris apparaissent dans son dos.

— Charmant, soupire Brenan en dégainant son épée.

— Tout à fait mon genre, ajoute Daevon.

— Lycans* ! siffle la harpie en reniflant l’air.

— Pas tout à fait, réplique Daevon. Le terme exact est panideri neberu*, pour ta gouverne.

— Panthères-garous ! enrage le monstre.

— Je vois que tu es cultivée. Plutôt ton genre, en fait, lance-t‑il à son frère avec nonchalance.

— Tellement suffisants ! persifle-t‑elle en avançant lentement vers nous.

— Si vous pouviez éviter de l’énerver ! je m’exaspère.

— La chasse n’en sera que plus amusante ! réplique Brenan.

Je suis sur le point de dégainer mon arme lorsque, pour une raison qui m’échappe, mon visage se tourne vers l’Arragast. J’ai la folle sensation que quelque chose m’appelle. Une attraction puissante et irrésistible. Tout le reste disparaît. Sans que je puisse rien contrôler, j’opère un demi-tour et m’élance vers le pont pour sortir de la cour.

— Olie ! s’écrie Brenan. Mais qu’est-ce que tu fous ?

J’ai conscience que je les abandonne en pleine chasse, mais mes jambes ne m’obéissent plus. Je cours vers l’Arragast comme si ma vie en dépendait. J’entends mes amis pester, alors que le combat contre la harpie s’engage. Mais je ne peux me concentrer sur rien d’autre que l’Arragast et le besoin irrépressible de m’en approcher.

Je n’entends plus que mon cœur battant follement dans ma poitrine. Il ne me faut que quelques minutes pour me retrouver devant la frontière magique. Je récupère alors le contrôle de mon corps et de mon esprit. Je ne sais pas vraiment ce que je fais là. Pourquoi je suis planté devant l’Arragast, pourquoi j’entends battre un autre cœur que le mien. Je ne peux pas voir au travers, mais je sais qu’il y a quelqu’un de l’autre côté. Quelqu’un qui m’appelle. Et qui a besoin de moi. Par les dieux, je suis en train de devenir fou !

Sans que je sache pourquoi, j’éprouve le besoin d’avancer mes bras vers la paroi, de tendre la main pour que cette personne, qui qu’elle soit, me rejoigne. Je frissonne lorsque mes doigts entrent en contact avec la membrane. Un vent puissant s’élève tout autour de moi. Et mon corps tout entier se met à briller. Le tatouage sur mon torse chauffe ma peau. Je ne comprends rien à ce qui est en train de se produire. Je sais seulement que le pouvoir qui sommeille en moi s’éveille.

— Olie ! m’appelle Brenan au loin.

Mes yeux fixent la barrière sans parvenir à s’en détacher, mes bras toujours tendus devant moi. Et soudain, une main jaillit de l’Arragast, saisissant fermement la mienne. Une main poisseuse de sang.

Je tire, et fais émerger petit à petit un corps. Une femme. Grièvement blessée. Elle atterrit dans mes bras, haletante et tremblante, la peau brûlante. Son épaule est transpercée par une flèche. Elle perd énormément de sang, elle est à peine vivante. Et elle me contemple.

Je lis le soulagement dans ses yeux. Des yeux ambrés parsemés d’éclats lumineux. Elle a de jolies lèvres pleines et un nez fin. Ses cheveux sont blonds, de la couleur des blés. Son visage, malgré l’épuisement et la douleur, constitue la plus belle chose que j’aie vue de toute ma vie. Un étrange tatouage orne son cou délicat. Des symboles semblables à ceux qui sont gravés sur ma chair.

Je sais que cette femme n’est pas humaine. Ni fae. Je ne sais pas ce qu’elle est, mais elle possède la Marque des dieux, je peux le sentir. Je ne parviens pas à détourner mes yeux des siens, une énergie particulière circule entre nous. Une sorte de connexion. Qui est-elle ? Et pourquoi m’a-t‑elle conduit à elle ? Car j’en suis persuadé, elle m’a appelé, d’une façon ou d’une autre.

Elle est à bout de force. Je raffermis ma prise au moment où ses jambes cèdent, la pressant davantage contre moi. Elle tend vers mon visage une main tremblante, qu’elle pose sur ma joue. Je sens le sang ruisseler sur ma peau mais je n’en ai rien à faire. Je pose ma main sur la sienne, incapable de faire autrement.

Ses lèvres s’entrouvrent. Et des mots s’en échappent au moment où sa chevelure s’illumine, avant de prendre une teinte pourpre, telle une rivière de sang.

— Je vous ai trouvé, murmure-t‑elle. Mia eriah.

Ses mots me font trembler. Mia eriah. « Mon roi », en langue fae. Des milliers de questions se bousculent dans ma tête, mais je ne parviens pas à parler. Sa main retombe soudain contre son flanc. Ses yeux se ferment. Je panique.

— Non ! je m’écrie, terrorisé à l’idée de la perdre.

— Olie ! grogne Brenan juste à côté de moi. Mais putain, c’est quoi ce bordel !

— Brenan ! Aide-moi ! je l’implore. Elle se meurt !

Il me dévisage avant de détourner le regard vers la femme qui gît dans mes bras.

— Il faut qu’on lui trouve un médecin, dit-il. Mais ne t’inquiète pas, elle ne va pas mourir.

— Pourquoi ?

— Olie… c’est une walkyrie*.

 

[1] Les mots en italique signalés par un astérisque lors de leur première apparition sont regroupés dans un lexique en fin d’ouvrage.

A la découverte d’Evalon

42 Chapitres

542 Pages

- Qu'attends-tu de moi, Oliver ?

– Tout, Lyrie. J’attends tout. Et je te l’ai dit. Si nous le voulons vraiment, alors je trouverai un moyen pour que cela soit possible. Sans que tu aies à sacrifier ton âme. Je suis prêt à tout pour toi. À tout.

Lyrie / Oliver – Tome 1 : Le Chasseur

— Quand tu es sortie de l’Arragast et que tu as atterri dans mes bras, mourante… J’étais bouleversé.

— Pourquoi ?

— Parce que j’ai su que nos destins étaient liés. Parce que je sentais la vie te quitter. Et… Parce que tu étais la plus belle chose que j’ai jamais vue.

Oliver / Lyrie – Tome 1 : Le Chasseur

- Que fait-on, Oliver ?

– Qu’ils brûlent, Irail !

– Es-tu certain que c’est ce que tu veux ?

– Oui. Je n’éprouverai plus aucune pitié. Ce temps-là est révolu. Ils ont voulu faire de moi un monstre… Qu’ils en assument les conséquences ! Mets le Feu, Irail ! Je ne veux aucun survivant !

– Comme il te plaira, Oliver.

Irail (dragon noir) / Oliver  – Tome 3 : Le Roi